Pourquoi la bière artisanale allemande est-elle une niche ?

On reconnaît volontiers l’Allemagne comme étant l’un des berceaux du développement mondial de la bière. Pourtant, la bière artisanale allemande se fait discrète et, souvent, déçoit par sa qualité.

Il y a des personnes qui salivent à la simple évocation de bière allemande. Ah, ces bonnes vieilles Helles bues dans des Maß (chopes d’un litre), aussi claires et dorées que… que quoi d’ailleurs ? Qu’une bière de fermentation basse filtrée à outrance ? Oui, voilà. Bien souvent, une bière allemande, c’est ça. Alors bien sûr, je caricature. N’empêche que cela donne un premier élément de réponse quant à la discrétion de la scène craft outre-Rhin et du fait indiscutable que la bière artisanale allemande reste une niche.  

Pourquoi autant de bière et si peu de (bonne) bière artisanale allemande ? 

Inscription murale mentionnant le Reinheitsgebot à la brasserie du Kloster Weltenburg
L’Allemagne est fière du Reinheitsgebot, même s’il nuit parfois à ses propres brasseur⸱euses

Je ne suis pas toujours tendre avec la bière allemande. Quand les puristes crient au génie du Reinheitsgebot (le décret de pureté de la bière, publié en 1516), je crie au capitalisme avant l’heure, tant l’histoire du brassage est ici liée à des successions de règles dont le seul but était de faire grossir les caisses de l’état et de donner encore plus de privilèges à ceux qui en avaient déjà. 

Bref. 

En toute objectivité, l’Allemagne en général et la Bavière en particulier ont joué un rôle indéniable dans le développement de notre boisson préférée. Mieux, mes compatriotes d’adoption bavarois brassent quelques-unes des meilleures bières lorsqu’il s’agit de types de bières traditionnels. Pourtant, en bon pionniers et en bon chefs de file de l’industrialisation d’à peu près tout et n’importe quoi, les allemands se sont habitués à produire d’énormes quantités de bière, à qualité toujours égale et, loi du marché oblige, à bas coût

Produire plus, payer moins

Tu l’entends la ritournelle de la croissance ? On l’a tellement entendue qu’elle transpire de la Heineken par tous les pores. Enfin, restons concentré⸱es sur notre sujet : de la Paulaner. Tout ça pour dire que les allemands ont pris de mauvaises habitudes : la bière ça se boit en grandes quantités et ça se paie pas cher. Pour rappel, un demi-litre de Helles ici, c’est moins d’un euro pour un truc buvable. Donc une caisse de 20 (10 litres), ça se trouve pour une quinzaine d’euros dans n’importe quelle station essence. Les bières de punk, c’est moins (j’en sais quelque chose, ça fait 15 ans que je traîne ma guitare sur les routes françaises, suisses et allemandes). 

Bref, encore. 

Tant qu’on brasse de la Helles, tout se passe bien. Les Weissbier et Dunkle s’en sortent également avec les honneurs. Par contre, si on se tourne vers les styles en vogue du moment, IPA en tête, mais aussi Sour et autres réjouissances de ce genre, le modèle s’écroule. 

Les houblons aromatiques de qualité coûtent cher. Les levures sauvages ne s’apprivoisent pas aussi bien que leurs cousines de labo. Bref, un lambic ou une DIPA bien cochonne en houblonnage à froid, ça coûte plus cher à produire. Et en plus, le public est plus restreint que pour la Paulaner bue main dans le slip devant un match du FC Bayern. Double effet kiss cool, ça coûte encore plus cher à produire. 

Le débat existentiel des petits brasseurs allemands

Vous l’aurez compris, même si l’état d’esprit général est à boire son litron pour pas cher, cela ne veut pas dire (loin de là) que les brasseurs allemands ne sont pas intéressés par les bières artisanales. Ni d’ailleurs qu’il n’existe pas de marché pour la bière artisanale allemande. Le problème principal est que, l’industrialisation massive de la filière et son contrôle à tous les niveaux par de grands groupes coincent les petits producteurs qui ne peuvent pas s’aligner sur les prix du marché. C’est d’ailleurs tout aussi vrai pour celleux qui brassent des styles traditionnels que les autres qui ont des étoiles dans les yeux à l’évocation de doux noms comme Citra, Mosaic ou Sorachi. 

Bref, toujours. 

Pour espérer ne pas mettre trop vite la clé sous la porte tout en brassant de la bière artisanale en Allemagne, deux solutions principales se détachent. 

  1. Solution 1 : Réduire les coûts au maximum pour arriver à sortir une Helles à 1€50 et une IPA à 3€ (max, grand fou !) 
  2. Solution 2 : Miser sur l’export pour ne pas sacrifier la qualité (mais du coup sacrifier une bonne partie du marché local, ce qui est paradoxal quand on fait de la craft). 

Réduire les coûts = bière artisanale allemande de qualité moyenne

Pendant le premier confinement, je me faisais ch***, comme à peu près tout le monde. Dans une démarche on ne peut plus scientifique, j’ai commandé une IPA allemande de chaque brasserie que j’ai trouvée sur l’un des principaux sites de livraison. Première surprise : les prix. La moins chère était à 1,65€, la plus chère à 3,20€. Moyenne de la commande : 2,55€ la quille

Deuxième surprise, un peu moins bonne : le goût. Rien de grave hein, ça se boit. Mais ce n’est pas non plus satisfaisant. L’amertume est là, donc les houblons amérisants, ça va. Les aromatiques sont par contre inexistants. Forcément, ça coûte cher. Mais le reste est aussi plutôt décevant et globalement fade (ou “juste” amer). Peu d’arômes, peu de mousse, trop de filtration. Bref, on s’adapte clairement aux habitudes et donc aux supposés goûts de la cible

Malgré cela, la plupart des commentaires sur Maps et autres sites de notation tournent autour du prix, rarement du goût. Certaines brasseries artisanales allemandes se tournent donc vers la solution 2. 

Exporter pour une bière artisanale allemande de qualité ? 

Brewheart X Hoppebräu | Can In Black | Imperial Stout – Un exemple de bière artisanale allemande de qualité

La solution 2 est, à ma connaissance, moins courante. En même temps, monter une brasserie au pays de la bière en sachant par avance que le gros de la clientèle est ailleurs, ça fait (à juste titre) peur en tant que jeune entrepreneur. Heureusement, il y a tout de même des amateur⸱rices sur place, dont je fais partie. Certaines brasseries artisanales allemandes osent donc (rarement) la taproom, parfois avec succès comme True Brew à Munich. D’autres y pensent mais ont encore besoin de sécuriser les finances avant de pouvoir se le permettre. C’est par exemple le cas de mes chouchous de Brewheart

Que ce soit eux ou les berlinois de Fuerst Wiacek, tous brassent une bière artisanale allemande de qualité… au prix qu’elle devrait coûter, c’est-à-dire 6, 7, 8€ ou plus pour une NEIPA ou autre bière riche en houblon (je prends les NEIPA et le houblon pour l’exemple – et parce que j’aime ça – mais ne vous méprenez pas, cela s’étend aux Stouts, Sours et autres). 

Toutes ces brasseries ont un point commun : bien que petites et jeunes pour la plupart, leur site Internet est systématiquement disponible en anglais, voire s’affiche en anglais par défaut. Si vous connaissez un peu l’Allemagne (hors Berlin), vous savez à quel point cela est rare. Ici, l’utilisation de l’allemand est aussi importante que le bas prix de la bière. 

Dernier bref, pour la route. D’ailleurs, pour l’anecdote, quand je bois des bières dans une taproom munichoise, je suis généralement loin d’être la seule à parler anglais. Même les “locaux” ne sont pas si allemands… Mais au-delà de viser les expats, communiquer en anglais permet surtout aux petites brasseries de s’offrir l’opportunité d’exporter. Et donc de faire vivre la bière artisanale allemande à l’étranger… en attendant que les mentalités ne changent !

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Laura

Laura est créatrice de contenu SEO freelance. Elle est aussi et surtout la créatrice de Point d’Orge. Passionnée de rock, de voyages et de culture, elle est aussi à l’aise seule derrière un clavier d’ordinateur qu’une bière à la main à débattre du meilleur pain au chocolat de Paris ou de l’IPA canadienne la plus fruitée.