Petite histoire de la domestication des céréales

La domestication des céréales, ou comment nous sommes passés du blé sauvage à obliger les paysans à ne planter que quelques variétés appartenant à des groupes industriels.

Au commencement, il n’y avait rien. 

Ah non, ça c’est le début d’une autre histoire. Une histoire où un être supérieur joue l’apprenti sorcier pour créer plein de trucs qui n’ont rien demandé à personne et qui finissent par semer le chaos. Notre histoire à nous est bien différente, n’est-ce pas ?

Je reprends. 

Au commencement de cette histoire, celle de la domestication des céréales, il y a les graminées sauvages. Nous sommes il y a environ 500’000 ans et nos chères graminées, qui ne s’appellent pas encore céréales, poussent à leur guise autour de cette bonne vieille terre qui ne sait pas encore ce que sont les champs. Pendant des millénaires, tout se passe bien. Elles font leur vie de plantes fragiles qui se couchent au moindre coup de vent et dont les graines tombent si facilement de l’épi qu’elles repoussent d’elles-mêmes la saison suivante. Insolentes. 

Domestication des céréales par l’humain

Le truc avec les céréales, c’est que c’est nourrissant, c’est plutôt bon et ça ne risque pas de te rétamer la gue*** parce que la partie de chasse tourne mal. Résultat, elles finissent par devenir une part importante de l’alimentation humaine. Il y a environ 10’000 ans, nos ancêtres décident de les trier un peu, histoire de privilégier celles qui les arrangent le plus (meilleur rendement, moins de maladie, etc.). Ils ne le savent pas encore, mais ils viennent d’inventer la sélection massale et, avec elle, commence le processus de domestication des céréales

Ce faisant, les premières espèces apparaissent. Le blé, qui nous intéresse tout particulièrement ici, se répand dans le Croissant fertile (actuel Proche-Orient), mais chaque région du monde a son climat, son terroir et donc ses propres variétés. En Asie, le riz prédomine, en Amérique centrale c’est plutôt le maïs. L’Afrique subsaharienne est quant à elle le berceau du mil

Grâce à la sélection massale, certaines caractéristiques peuvent être encouragées. Au fil des siècles, nos ancêtres, sans vraiment comprendre ce qui se passe, permettent la fixation génétique de certains caractères appréciés. La taille de l’épi par exemple, ou la capacité d’un plan à résister à un climat donné. 

Naissance des blés populations

Blé sauvage (population) poussant naturellement devant un mur de pierre
Les blés de population rassemblent plusieurs variétés, tailles et couleurs

De graminées sauvages qui poussent où et comme elles veulent, nous voilà donc désormais avec ce que l’on appelle des blés populations. Ces blés de population sont constitués d’un mélange hétérogène de variétés, plantées ensemble pour répondre aux besoins d’un terroir, par exemple. Dans un même champ, on retrouve donc des blés de tailles et de couleurs différentes, avec des épis eux aussi différents. 

Au fil du temps, ces blés quittent le Croissant fertile pour se disperser ailleurs dans le monde, en Europe notamment. Une nouvelle sélection massale se fait systématiquement afin de s’adapter aux différents climats, aux spécificités des sols ou de tout autre besoin des paysans. Une pratique courante est alors de sélectionner les individus qui résistent mieux à la verse, cette tendance des blés à se coucher en cas de mauvais temps (ce qui complique la récolte et augmente le risque de pertes). 

Jusque là, tout va bien. 

Génétique et lois de l’hérédité

Depuis plusieurs millénaires, les humains influencent les caractéristiques des plantes, céréales ou autres, sans trop comprendre ce qui se passe réellement dans le végétal. Au milieu du XIXème siècle, la science vient néanmoins donner un nom au phénomène : l’hérédité. Plus précisément, c’est un moine austro-hongrois du nom de Gregor Mendel qui, s’ennuyant dans son monastère, décide de révolutionner la botanique en jouant avec des petits pois. Si vous avez fait spé bio, vous vous souvenez peut-être de lui. 

Pour résumer, Mendel définit les principes de l’hérédité biologique (les bien nommées lois de Mendel). Il s’aperçoit qu’en croisant des pois ridés, on obtient des pois ridés. En croisant des pois lisses et des pois lisses, on obtient des pois lisses. En croisant des pois lisses et des pois ridés, on obtient… des pois lisses. Que des pois lisses ! 

Pour faire court, on comprend qu’il est possible de précisément contrôler les caractéristiques d’une plante si on ne la laisse pas se reproduire n’importe comment. En d’autres termes, il est possible de créer des variétés pures, qui auront systématiquement les mêmes caractères d’une génération à l’autre. 

Tournant dans la domestication des céréales avec l’arrivée du catalogue officiel

Maintenant que l’on sait que l’on peut créer ses variétés de blé et autres céréales à la carte, il y a du pain sur la planche ! Pour faire face à ce nouveau besoin, on crée le métier de semencier, dont les représentants sont chargés de mettre au point les variétés de demain. En France, c’est Louis de Vilmorin qui crée la première variété de blé moderne, à la fin du XIXe siècle : le blé Dattel

S’ensuit une industrialisation en bonne et due forme de l’activité agricole. Maintenant que les champs de blé sont tous à la même hauteur, le passage des machines est de toute façon facilité. 

Dans les années 1930, toujours dans un souci d’industrialisation et de mettre un peu d’ordre dans le vivant, naît le catalogue officiel. Il liste l’ensemble des variétés de blé cultivées en France et approuvées par l’État. 

En 1949, petite nouveauté, il n’est plus possible de commercialiser les semences de variétés non-inscrites au catalogue officiel

En 1951, une large opération d’échanges standards est menée en France. Les paysans peuvent alors échanger leurs semences contre d’autres, de blés modernes en lignée pure et inscrits au catalogue officiel. S’il n’est pas obligatoire, cet échange est clairement pensé pour ne pas laisser beaucoup de choix aux agriculteurs. 

En 1960, plus aucune variété de blés populations n’apparaît au catalogue officiel. 

Aujourd’hui, plus de 350 variétés de blé tendre sont inscrites au catalogue officiel, toutes répertoriées pour leurs “qualités génétiques”. Toutes sont la propriété de groupes agro-industriels

Champs de blé issu de la domestication des céréales: tous les épis sont de la même taille et de la même couleur
Ils ne sont pas beaux ces épis tous de la même taille et de la même couleur ?

Pour conclure : le bourbier des variétés pures et du catalogue officiel

Gros plan sur un épi de blé sec
Produire plus pour nourrir moins ?

À l’origine, la domestication des céréales semblait bien inoffensive. L’arrivée des lignées pures et du catalogue officiel a ensuite été scellée par un discours vantant le progrès, les avancées de la science et de nombreux avantages pour le peuple. En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’accélération de la recherche a permis d’obtenir à la fois : 

  • De meilleurs rendements, notamment grâce à une meilleure résistance au froid et aux maladies. 
  • Une augmentation de la productivité, avec des rendements plus faciles à anticiper. 
  • De meilleurs revenus pour les paysans. 
  • Une meilleure qualité boulangère grâce à des farines plus “fortes”. 

En contrepartie, on a vu l’apparition d’une filière complète, des semences au pain en passant par la culture. Cela s’accompagne bien sûr d’une production en série, à (très) grande échelle et une mainmise absolue des industriels sur cette filière, avec le soutien de l’État. Car ce sont bien les industriels qui gagnent sur tous les tableaux en ayant le contrôle à la fois sur les machines agricoles, les semences et les pesticides. Résultat, les profits n’ont jamais été aussi importants, mais le nombre de paysans et de meuniers ne cesse de diminuer. 

En conclusion, on ne cherche pas à produire mieux, mais à produire plus. Toujours plus. Les conséquences pour les petits exploitants sont désastreuses. Plus largement, ce modèle a également entraîné une modification de la base même de notre alimentation, les céréales, sans s’interroger sérieusement sur les éventuelles conséquences sur l’écologie comme sur notre santé. 

Mais ceci est une autre histoire. 

Conseil de lecture

Pour en savoir plus sur la domestication des céréales, mais aussi ses conséquences et, plus généralement, sur la qualité actuelle de notre pain, je ne peux que vous conseiller la lecture de l’excellent :
Notre pain est politique – Les blés paysans face à l’industrie boulangère – Groupe blé, avec Mathieu Brier – Éditions de la dernière lettre – 2019

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Laura

Laura est créatrice de contenu SEO freelance. Elle est aussi et surtout la créatrice de Point d’Orge. Passionnée de rock, de voyages et de culture, elle est aussi à l’aise seule derrière un clavier d’ordinateur qu’une bière à la main à débattre du meilleur pain au chocolat de Paris ou de l’IPA canadienne la plus fruitée.